Nine a 26 mois et est en pleine exploration du langage. Nous ne sommes plus très loin du 60% de compréhension que les chercheurs* annoncent pour cette tranche d’âge, mais elle nous surprend de plus en plus.
Là, c’est l’introduction positif que je peux vous faire car je viens de passer pas mal de temps à lire des articles scientifiques sur le sujet. Ce matin, j’avais en tête cette idée très répandue que les enfants en contexte bi-/plurilingue parlent plus tardivement que la moyenne*. Après de nombreuses lectures, il semblerait que ce soit totalement faux. Aucune étude sérieuse ne permet de l’affirmer. Disons simplement que chaque enfant avance à son rythme et le nombre de langues qui l’entoure n’agit pas plus que l’âge de sa première dent. Donc pas besoin de s’inquiéter.
Et tant mieux car si les premiers mots de Nine ont été dits en France dans un contexte bilingue bien organisé ce n’est plus du tout le cas aujourd’hui.
Avant le monde était francophone, mais la télévision, la musique, papa (et de temps en temps maman) parlait japonais. Strictement japonais pour la télévision, avec beaucoup moins de motivation et de régularité pour les autres. C’était facile. Enfin techniquement, car quand ma fille a choisi de dire « ja ne » au lieu de « à bientôt » pour nous saluer, je n’ai pas compris. C’est en entendant un de mes élèves (japonais) me le dire que j’ai fait le lien. Ma fille savait parler ! Car en prenant conscience de la présence de japonais dans son lexique, nous pouvions ajouter une bonne dizaine de mots d’un coup !
Fortement influencée par ma lecture de blogs anglophones (où le monde entier semble parler anglais, donc personne n’apprend aucune autre langue), je n’ai pas du tout fait attention que depuis septembre Nine évoluait dans un environnement clairement plurilingue et illogique et donc enrichissant.
Français à la maison, anglais avec des amis et tout un tas de trucs farfelus dans la rue. La télévision parle principalement français et japonais, mais aussi anglais et la langue du coin.
Sauf que là où moi je perds mon français (certains jours l’anglais devient carrément ma langue dominante), Nine apprend le français de mieux en mieux. Sans jamais lui avoir réclamé, elle nous dit « pardon » ou « merci » au bon moment (je ne vous dis pas le soulagement, on a beau croire que l’exemple suffit, on est ravi quand ça marche pour de bon).
Et après un mois en Grèce, elle s’est mise à répondre et discuter avec la caissière du supermarché… en grec. Enfin la caissière parlait grec et Nine babillait mais a su lui dire son prénom au bon moment, d’où notre certitude d’une vraie interaction comprise.
Cette langue aux mots si compliqués à prononcer que je n’ai jamais su dire « au revoir » ! Elle a commencé à comprendre le grec simplement en passant du temps avec le couple de retraité vivant sous notre appartement, en cuisinant avec eux, en courant dans leur maison et en acceptant tous les bonbons qu’ils avaient en stock.
Le monde est profondément injuste ! Car je suis sûre d’une chose : à moins de m’installer pour 10 ans en Grèce, je ne parlerai jamais grec. Ma fille, peut-être…
Du coup, je n’ai plus l’intention de la laisser se dépatouiller toute seule dans ce monde plurilingue. J’ai décidé de l’accompagner et de lui permettre d’enrichir ses compétences communicatives. Je pense à de nombreux africains qui se disent capables de discuter dans 5 à 10 langues différentes. En réalité, ils auraient beaucoup de mal à parler de politique. Mais ils savaient tous faire une discussion de base, se présenter, parler de la météo et donner des nouvelles de la famille. En se disant capables (et donc plurilingues selon Grosjean*, le chercheur référent sur la question du bilinguisme), ils affirment surtout l’audace de se lancer dans une discussion dans une langue autre.
C’est cette audace que je veux transmettre à ma fille. Oser balbutier quelques mots pour privilégier le contact et la rencontre à la perfection de la phrase en langue étrangère.
Alors pendant que j’apprends l’italien, je n’hésite pas à dire aux autres enfants du parc que oui, Nine comprend l’italien, mais comme elle est petite, elle ne peut pas répondre. Un mensonge qu’elle ne peut contredire (ouf) mais qui l’incite à être entourer d’une langue différente et à ne pas s’y arrêter pour partager un paquet de chips ou prendre son tour sur le toboggan.
Et petit à petit, sans apprendre l’italien, elle, elle saura le comprendre. Le monde est injuste pour les amoureux des langues qui n’auront plus jamais moins de 3 ans !
En savoir plus sur le sujet :
« Développement langagier chez l’enfant d’âge préscolaire évoluant dans un milieu bilingue ou multilingue », article d’une orthophoniste canadienne
FAQ sur le bilinguisme et le développement de la parole par l’association Premiers Mots (toujours au Canada)
« Né pour être bilingue : lettre à mon premier petit-fils » par François Grosjean
Merci des liens, je vais regarder cela de plus près… Parce que ça m’intéresse comme prof de FLE /FLAM pour enfants, comme future mère de bi(tri?pluri?)lingues et comme curieuses…
En tant que prof ça risque surtout de te démotiver quand tu as des enfants dont les parents ne s’impliquent pas.
Par contre comme futur mère, c’est toujours très intéressant, je trouve, mais assez difficile de trouver des informations sérieuses.
Pour les cours, c’est vrai que c’est important d’avoir au moins une image positive à la maison…
Mais les faits ne me découragent pas, ça dépend ce qu’on vise et moi, je vise le fait qu’ils aient moins peur / plus envie par la suite d’apprendre une langue, une meilleure oreille aux sons étrangers…
Et je lisais l’autre jour une recherche sur le fait que des enfants qui ont appris une langue étrangère à partir de 4 ans avec seulement une heure par semaine, réussissez mieux jusqu’à 10 ans les tests sur la langue française pour ce qui est de la compréhension des comparaisons / métaphores et du caractère arbitraire du signe.
C’est ce genre de choses qui m’intéressent (malheureusement peu mesurable pour les parents et j’ai donc du mal à fidéliser ma clientèle)
C’est le genre d’article qui m’intéresse. Tu te souviens des références ?