Les reines de la Basilique St Denis

Cet article fait suite à un blogtrip organisé par En France Aussi et deux offices de tourisme du Grand Paris (St Denis et Val de Marne, unis grâce au site #ExploreParis).

La prise de conscience est encore relativement récente chez moi et à chaque fois je suis béate devant cette réalité : le monde (historique, culturel, touristique) n’est raconté que par le biais des hommes, comme si les femmes n’existaient pas. D’ailleurs, le lieu que je souhaite vous présenter aujourd’hui est dit « dernière demeure des rois de France ». Alors j’ai envie de faire la même chose, de ne parler de la Basilique Cathédrale de St Denis qu’à travers ses femmes. L’exercice est délicat et j’espère que vous ne me tiendrez pas rigueur des quelques noms d’hommes inclus ici et là (en les repositionnant par rapport aux femmes de leur vie, comme cela semble si important dans tant d’articles).

Arégonde, première tête couronnée de St Denis

Prenez un homme marié (à vous-même et une autre femme) ayant une certaine estime de lui et demandez lui conseil pour trouver l’homme parfait pour épouser votre petite sœur. Il est fort probable qu’il ne trouve personne qui lui soit supérieure et que cette petite sœur devienne donc la troisième femme de ce mari si parfait.
Le problème est que l’homme étant connu, vous ne devenez rien d’autre que… sa femme. « Femme de » comme d’autres sont chevaleresse, peintresse ou couturière.

C’est un peu l’histoire d’Arégonde, troisième femme d’un roi mérovingien, troisième sur sept. Sa chance à elle, elle la tient des archéologues de la fin des années 1950 qui s’intéressent à un sarcophage de pierre dans la basilique St Denis dont le contenu est incroyablement bien préservé. Il s’y trouve des bijoux et des vêtements (enfin des restes de textiles que la science a pu reconstituer pour nous donner une forme et des couleurs). Cela aurait pu être des éléments appartenant à n’importe quelle personne du 5e siècle mais une bague ne laisse aucun doute possible. C’est simple, le nom d’Arégonde figure dessus avec la mention de « reine ». D’autres analyses se sont concentrées sur la date de son décès. C’est presque aussi bien qu’un épisode de série policière.

Bijoux de la reine Arégonde
Les bijoux de la reine Arégonde, exposés temporairement à St Germain

Dans la basilique de style gothique que l’on visite, il n’y a rien d’éclatant au sujet de cette reine, pas de signe ostentatoire, pas de grand portait illustré. Mais elle est tout de même actuellement la plus ancienne tête couronnée connue enterrée sur le site de l’actuelle basilique St Denis (son mari est à Soissons). En effet, le plus ancien roi qui s’y trouve est le fils de la reine consort Bertrude, Dagobert 1er, décédé environ 60 ans après elle.

Arégonde nous invite à un voyage dans le temps, à oublier tout ce qui est sous nos yeux lors de la visite de la basilique (en dehors de la crypte, les plus anciens éléments sont du 12e siècle). On se retrouve projeté dans une époque où la polygamie est autorisée. Une période qui marque le début de plusieurs modes comme le fait de placer la tête couronnée sous le sacre de Dieu et de vouloir se faire enterrer à proximité de saints, dans le cas qui nous intéresse, être proche de celui qui parcouru six kilomètres avec sa tête sous le bras.
Lors du décès d’Arégonde, entre 570 et 580, le lieu n’est qu’une chapelle qui a elle-même été transformée quelques années plus tard par le fils de Bertrude (pour préparer son installation post-mortem?).

La photo des bijoux d’Arégonde (ci-dessus) vient de ma visite de l’exposition Clovis à St Germain-en-Laye (en décembre 2022) qui m’avait permis de plonger dans l’époque mérovingienne et d’apprendre énormément. Saviez-vous que la dynastie mérovingienne n’est plus au programme scolaire ?

Basilique dernière demeure des reines de France

Catherine de Médicis, première reine photoshopée ?

Quelques temps après Arégonde, bon longtemps après mais quand on aime on ne compte pas, le lieu devient une véritable nécropole royale. D’ailleurs, aujourd’hui on considère qu’y reposent 32 reines, 42 rois et 63 princesses et princes. Les gisants, les transis et les tombeaux sont d’ailleurs les éléments à admirer lors de la visite. Trois mots pour désigner trois styles de dernières demeures, trois états d’esprit.

Ainsi, il y a d’abord eu les gisants, des représentations de la défunte ou du défunt dans une position allongée mais les yeux ouverts, comme prête à marcher (c’est l’attente de la résurrection). Puis à la Renaissance, on opte pour le transi c’est-à-dire une version réaliste d’un corps mort. Au programme pour l’artiste : putréfaction, ver, nudité. Femme de son époque, c’est ce qui attendait Catherine de Médicis. Mais c’était une personne organisée et son transi fût prêt de son vivant. Le résultat ne lui a pas du tout plu, il était trop fidèle et ce n’était pas sa vision de la postérité. Alors elle a commandé une nouvelle sculpture avec des consignes plus précises, comme un certain rajeunissement et un drap admirablement placé. Son « portrait » s’inspire directement d’une Vénus exposée aux Offices de Florence… Je vous laisse admirer le résultat (bien plus visible en photo que sur place malheureusement) :

Catherine de Médicis et son mari.
Le transi de Catherine de Médicis et son mari. Photo provenant du site Tourisme 93 (lien sur la photo).

Des tailleuses de pierre pour reconstruire la flèche de la basilique

Visiter la Basilique St Denis, c’est se balader entre le 12e siècle et nos jours, suivant l’élément sur lequel on pose les yeux. Ce qui a disparu ne retrouve vie que par la voix des guides et médiatrices. Pourtant il est possible de mettre du relief et de la texture sur un élément majeur (et disparu) de cette cathédrale gothique. En sortant de la Basilique, il suffit d’aller sur la droite (et encore à droite) pour rejoindre un petit jardin où des ateliers de taille de pierre sont proposés. Ce n’est qu’une des facettes du projet mené par l’association Suivez la flèche, chargée de remonter la flèche (comprendre la tour et la flèche qui l’orne) qui a été démontée entre 1845 et 1847.

D’accord, entre une reine et une bâtisseuse, il y a tout un monde. Mais cela reste mon article et ma capacité à jouer des mots pour lier ensemble deux aspects de la société.

Reconstruire une tour dans une démarche historique et respectueuse du passé demande d’avoir des outils et des connaissances spécifiques. Côté connaissances, ce projet bénéficie d’un atout considérable. Quand la tour a été démontée, c’était pour des questions de sécurité. Dès le départ, il était prévu de pouvoir la reconstruire. Des notes et des plans ont donc été pris pour permettre cette deuxième partie qui attend son tour depuis presque 200 ans.
Depuis les technologies ont évolué mais pas question de jouer la carte de la facilité. Ce sont des tailleuses de pierre comme Nathalie qui nous a accueillies qui vont s’occuper de créer les pierres nécessaires. Ce qui implique d’avoir des outils adéquats et c’est pourquoi l’association travaille aussi avec des forgerons et différents autres métiers détaillés sur leur site internet.

L’approche pédagogique est passionnante. Ainsi, l’atelier nous a mis en contact avec Mélanie médiatrice et Nathalie tailleuse de pierre. L’ensemble dépoussière et colore la vision que l’on peut avoir du Moyen-âge. Bon, la poussière en question s’envole probablement dans les poumons de tous les bâtisseurs et bâtisseuses du passé et du présent. Mais j’aime ce côté vivant, voir les mains s’activer, prendre conscience dans mon dos du temps qui passe, le comparer aux pierres que j’aperçois sur un bout de la Basilique. Je ne peux que vous inviter à suivre le compte Instagram Suivez la flèche ou à surveiller la page actualité de la Basilique pour découvrir les prochains ateliers. Si ceux-ci sont ponctuels, la présence d’un atelier ouvert, véritable centre d’interprétation, fait totalement partie du projet.

Les étapes pour tailler la pierre
Débiter, tailler, sculpter, les différentes facettes de la taille de pierre
Tailleuse de pierre
Les mains de la tailleuse de pierre qui nous a accueillies
Atelier taille de pierre à St Denis
Ma petite contribution au logo En France Aussi : le F (oui je suis fière d’avoir réussie)

Pour en savoir plus sur les femmes bâtisseuses au Moyen-Âge, je vous conseille également cet article de Sandrine Victor : Bâtisseuses de cathédrale (le lieu étudié est en Espagne mais la chercheuse évoque ponctuellement des villes françaises).

Debout les reines – ces femmes qui décident de leur vie

Adossée aux grilles du jardin de la basilique, une exposition de photographies met en lumière des femmes de St Denis, des femmes qui ont été victimes de violence et qui ont participé à un atelier sur l’estime de soi. Des femmes qui auraient pu être de simples ouvrières au pied de la cathédrale et qui sont mises en scène à l’image des femmes qui y ont été sacrées reines.

Raluca Vlad, artiste plasticienne, a créé des accessoires inspirés de la royauté française. Arégonde n’est pas très loin des photos que l’on observe. On découvre en effet à plusieurs reprises le sceptre dit de Dagobert, que les reines de France tenaient de la main droite lors de leur sacre dans la Basilique St Denis.
Les photographies sont de Louise Oligny qui joue à merveille avec les ombres pour donner de la puissance aux femmes qui ont osé se placer devant son objectif. Le résultat donne envie de se tenir droite, de relever la tête, de regarder devant soi.

L’exposition est en place jusqu’au 31 décembre 2023. C’est assez petit mais c’est sur l’extérieur du jardin donc accessible librement. Découvrez la présentation de l’exposition sur le site de La maison des femmes où se tient l’atelier à l’origine de ce projet.

Debout les reines sur les grilles du jardin de la basilique à St Denis
Admirez le sceptre sur la photo de droite…
sceptre de Dagobert
c’est le même sceptre dans cette représentation du couronnement de Jeanne de Bourbon
Exposition Reines debout de Louise Oligny
Exposition montée par La maison des femmes avec Louise Oligny et Raluca Vlad

Conclusion : les reines et bien plus

Après tant d’Histoire, le planning du blogtrip impliquait une pause déjeuner à quelques pas de là, chez Marguerite Charlie, un café restaurant qui sait mettre les femmes à l’honneur. Anaïs et Mostafa ont créé un endroit cosy, chaleureux, local. Je me suis régalée et j’ai apprécié découvrir sur les murs l’univers de l’artiste Marine Tellier.
N’y avait-il meilleur endroit pour finir la balade dans St Denis que de la vaisselle fleurie et dépareillée dans un lieu hybride qui propose deux fois par an des marchés de créatrices, des marchés 100 % féminins et locaux ?

Restaurant café Marguerite Charlie à St Denis
Mon déjeuner chez Marguerite Charlie

Je vous invite à aller lire les articles des blogueuses présentes avec moi. Cela permet de découvrir différents lieux, chacune étant libre du thème de son texte.
Pour découvrir la Seine St Denis, c’est chez Mathilde, Renée et Milla qu’il faut aller.
Aurélie se concentre sur le Val de Marne.
Enfin, pour découvrir le week-end dans sa globalité, c’est chez Sylvie, Paule-Elise, Virginie, Sabrina et Lucie.

16 commentaires Ajoutez les votres
  1. Merci Tiphanya pour ce regard féminin. J’avoue avoir été surprise de découvrir que la 1ère tête couronnée inhumée à Saint Denis était une femme, qui plus est, dont le nom ne me disait rien. Et je suis attristée de savoir que les mérovingiens ne sont plus au programme scolaire… Ce fut un très beau week-end #EnfranceAussi

    1. Je ne connais Arégonde que grâce à mon mari qui avait hâte de voir ses bijoux à St Germain l’année dernière. En fait, avant cette exposition, je n’aurai même pas pu dire ce qu’était un mérovingien !

    1. Je doute qu’on sache beaucoup plus sur Arégonde, mais j’aime beaucoup sa parure complète qui permet d’en savoir plus sur la mode de l’époque. Comme la pique à cheveux puisque les femmes portaient le voile (ce que j’ignorais avant de voir cette étrange aiguille).

  2. Très intéressant de lire le récit de cette première journée de blogtrip avec ton regard et sous cet angle féminin ! C’était vraiment un chouette week-end en tout cas ! A bientôt !

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