Je ne sais pourquoi il m’est si difficile d’écrire sur notre séjour au Cambodge. Peut-être est-ce la façon dont le voyage a eu lieu, si rapide, sautant d’un lieu à un autre sans avoir eu le temps d’y saisir l’atmosphère. Peut-être est-ce à cause de mon carnet de voyage dans lequel je n’ai fini de consigner, dessiner, coller mes souvenirs.
Pourtant écrire me semble toujours aussi naturel, comme une extension de ma mémoire, une façon de réorganiser mes pensées, de les ranger et des les retrouver.
Alors je ferme les yeux et arrive l’image des éléphants au pied du temple Phnom Bakheng. Ils sont habillés d’un tissus rouge magnifique, leurs cornacs tuent le temps sur leur smartphone. Nine les regarde avec un pincement au cœur, tiraillé entre l’envie de monter sur leur dos et ce qu’elle sait de leur dur quotidien (et du fait que je refuse à cause de ça qu’elle y monte).
Et déjà je revois un autre éléphant ravi que des touristes locaux viennent lui offrir directement devant son enclos de la canne à sucre. À quelques pas de lui, dans l’immense parc animalier qu’est Phnom Tamao, un singe agrippe le bras de Nine. Elle s’en éloigne en pleurant de peur, et à travers ses larmes elle réaffirme sa volonté de trouver un moyen de donner de l’argent pour les mêmes singes, des gibbons à bonnet, vivant dans le centre de conservation de la biodiversité d’Angkor. Là-bas, les mâles et les femelles font connaissance, chacun d’un côté du chemin. Chez eux, l’amour c’est pour toute la vie, alors les soigneurs refusent de forcer les singes à sympathiser et attendent que les couples se forment d’eux-même. Mais le centre ne vit que grâce aux donations, alors seules les femelles vivent dans un bel espace, tandis que les mâles se contentent de petites cages.
Tout autour d’eux, aucun des animaux présents n’est là pour satisfaire les appareils photos des touristes. Ils sont là comme dans la salle d’attente d’un monde meilleur. Ils ont été sauvés des mains des braconniers, des guérisseurs utilisant tel os ou telle corne pour stimuler la virilité. Ils sont souvent arrivés en mauvaise santé. Et on ne peut que leur souhaiter un retour dans la nature, même si les animaux les plus menacés finiront leur vie à Phnom Tamao, dans un soucis de conservation de la faune locale.
Mon esprit poursuit son vagabondage au milieu de mes souvenirs, à la poursuite d’une odeur. Celle du café, dont le goût imprègne chacun de mes souvenirs du Cambodge. Préparé chaud, il peut ensuite être servi glacé dans un grand verre plein de glaçons. À un moment on y ajoute du lait concentré sucré, mais je n’ai jamais pu savoir quand exactement. Ce sont de vrais cafés, avec un petit goût unique.
Pour goûter un café ayant une bonne réputation, j’ai entraîné tout le monde à ma suite dans les allées du Psar Tuol Tom Pong (l’un des marchés russes de Phnom Penh). Peut-être est-ce une adresse juste pour les lecteurs du Lonely Planet et que personne d’autres ne s’y rend jamais. Peut-être est-ce une anomalie, une halte assise, calme, riche en caféine, hors de la frénésie et des brouhahas de n’importe quelle petite allée d’un marché couvert d’Asie. Et je ne sais pourquoi assise là, je pense à Orélie et à notre découverte du marché de Bishkek. Je pense également à tous ces moments où j’aimerai oser, parler, échanger. Comment cet homme en est venu à faire un café que tous les adeptes du Lonely Planet veulent goûter ? Comment puis-je être cette fille qui s’est promenée enceinte dans les Monts Célestes en rêvant d’Ella Maillart et rester si silencieuse, si écrasée par la gêne et le regard des autres ?
Je n’aurai jamais voyagé au Cambodge toute seule, entre timidité et crainte. L’idée que Angkor Vat est un trésor du bout du monde réservé aux aventuriers ne pouvait pas me quitter. J’ai du mal à chasser mes visions romantiques des récits de voyage de mon adolescence.
Et puis finalement j’y ai pédalé sans regarder derrière moi, d’un temple à l’autre, j’ai zigzagué avec un plaisir fou entre les voitures de Siem Reap.
Je ne sais quoi dire du Cambodge, car je n’étais pas seule. Je ne sais pas comment en parler sans froisser les souvenirs des autres, sans laisser ressortir mon désarroi à ne pas oser être seule, ma frustration à avoir préféré satisfaire tout le monde plutôt que moi. Car je n’étais pas seule au Cambodge. Il y avait ma fille, mon amoureux et ses parents. Et en même temps j’en ai vraiment bien profité. Mais mes souvenirs, sont-ils vraiment miens ? Mes expériences ayant déjà été partagées en direct valent-elles d’être redites ?
Bientôt j’aurai envie d’en dire plus, de parler, d’écrire, de ne pas m’arrêter. Bientôt.
Ce parc -réserve est une belle initiative ! Evidemment, c’est dommage qu’ils ne puissent pas tous être en liberté, mais peut être un jour …
Pour être précise, il y a 2 parcs. L’un à côté d’Angkor, fonctionne en partenariat avec un zoo allemand et c’est vraiment un lieu de passage. N’y séjournent que des animaux saisis (ou plus rarement trouvé dans un jardin ou autre) qui attendent d’être en pleine forme pour repartir. Il y a une classification pour les animaux protégés et seuls les deux niveaux les plus en danger ne sont pas relâcher dans la nature. On les envoie alors, pour les gros animaux, à Phnom Tamao qui accueille une centaine d’ours malais ou ours d’Asie et une petite dizaine de tigres.
Alors c’est un peu triste de visiter le premier mais le guide est top, il explique les blessures, pourquoi les locaux agissent ainsi contre les animaux. C’était très intéressant.
Je n’ai pas l’impression que le Cambodge soit un très bon souvenir pour toi. Je me trompe ?
Rien n’est noir et blanc, il y a le pays, les touristes croisés sur place, les gens qui m’accompagnaient. Mais dans l’ensemble la balance penche quand même du côté du positif sans aucune hésitation.