En juillet 2019, j’étais invitée à prendre la parole lors d’une soirée de rencontres et échanges sur le thème Quelles alternatives aux circuits classiques? organisée par Enjoy’in hostel. Ayant rapidement évoqué le sujet sur les réseaux sociaux, plusieurs d’entre vous étaient curieux d’en savoir plus. Cet article sur le slow travel reprend les grandes lignes de ma présentation ce jour-là, dans une version plus complète.
Qu’est-ce que le slow travel ? D’où vient-il ?
Avant toute chose il faut bien comprendre que le slow travel est un état d’esprit et en tant que tel, il n’y a pas une façon stricte de pratiquer le slow travel.
Durant les année 1980 sont apparus les termes Slow Movement et Slow Food, à partir d’initiatives citoyennes contre les fast-food. Le point de départ est une manifestation en Italie contre l’ouverture d’un MacDonald, rapidement suivie de la signature d’un manifeste à Paris. Dans ce contexte occidental, l’instantanéité domine. La sociologue Nicole Aubert utilise même le concept d’Homme-Instant : on veut tout, tout de suite, maintenant. La vision du temps est linéaire, nous sommes dans le culte de l’urgence.
Et cette recherche de l’instantanéité à tout prix a finalement un coût, notre bien-être personnel.
Le mouvement Slow Food s’est développé en réaction à cette urgence, jusque dans le contenu de nos assiettes et notre rapport au repas, et il a été fédéré par le biais d’une association internationale.
À l’inverse, le slow travel est un choix effectué par des voyageurs, en toute liberté, sans affiliation à une quelconque association. C’est le choix d’une résistance à l’instantanéité, au tourisme de masse, à une course perpétuelle.
Comment pratiquer le slow tourisme ?
Il y a des dizaines de façons de pratiquer le slow travel ou le slow tourisme comme on commence à le nommer. Il suffit juste de prendre son temps.
Ce n’est pas comme le terme backpacker qui impose d’avoir un sac à dos ou le terme tour-du-mondiste qui implique une certaine rotation autour de la planète.
Chaque voyageur peut devenir un slow touriste en choisissant de retrouver sa propre temporalité, un temps plus personnel. Il s’agit de privilégier une expérience, une émotion et non une quantité de choses dans la journée. On peut partir seul, avec des amis ou en famille, tant que tout le monde est sur la même longueur d’ondes. On peut voyager à 10 km de chez soi ou à l’autre bout du monde.
J’ai toujours voyagé lentement, avant même de connaître le terme slow travel car ce que j’aime le plus en voyage, c’est découvrir la vie des autres. C’est pourquoi je vous propose en guise d’exemples, deux séjours radicalement différents que j’ai effectué en mode slow tourisme.
En 2001, j’avais 18 ans et j’ai passé six semaines en Australie en solo. Une telle durée offre de nombreuses possibilités. Toutefois j’ai fait le choix de passer cinq semaines à Melbourne, à me perdre dans ses différents quartiers, à m’asseoir dans des parcs pour regarder les oiseaux, à savourer des cafés. J’avais un appareil photo à pellicules et dès que l’une d’elles était fini, j’allais dans un labo photo pour la développer. C’est dans ce labo que j’ai réalisé certaines de mes plus longues conversations en anglais puisqu’il y avait toujours la même vendeuse. J’ai aussi passé une semaine à Hobart en Tasmanie, pour retrouver une copine de lycée. Durant cette semaine, je ne suis sortie qu’une seule fois de la ville. Je ne suis donc pas allée admirer Uluru, visiter Sydney, voir les récifs de coraux…
En 2016, en famille cette fois-ci, nous avons passé 4 jours en vélo dans le Sundgau, la région au sud de Mulhouse où nous vivons. Nous sommes donc partis de chez nous en vélo et nous sommes rentrés en vélo. Nous avions planifié une petite boucle, avec 25 à 43 km par jour. Nous avons passé deux nuits dans un même camping, absolument sans charme. Nous avons flâné dans des parcs, profité de la piscine du premier camping, pique-niqué dans des endroits magnifiques et totalement déserts. Nous avons discuté avec des cyclo-touristes aux parcours impressionnants pour ensuite nous coucher dès que la nuit était là.
Quels sont les avantages du slow tourisme ?
Si le slow travel peut être un choix militant, c’est également une façon de voyager qui possède quelques atouts bien appréciables.
→ Favoriser les rencontres
Puisque l’on prend son temps, on peut dire « oui ». Oui, à cette balade imprévue ! Oui, à ce café en terrasse avec celui-celle qui n’est déjà plus un inconnu. Ou, pour choisir mes propres rencontres, oui, à un atelier feutrine dans le salon de l’employée de l’office de tourisme de Naryn ; oui, à une balade sur le Mont Royal avec un sac de cacahuètes sous le bras ; oui, à ce pique-nique entre couchsurfeurs au pied des tours Petronas.
→ Intégrer totalement le trajet dans le voyage
Il ne s’agit plus, ou du moins pas toujours, d’aller le plus vite possible de chez vous à votre destination. Le trajet est une partie du voyage, que l’on opte pour le vélo, le train ou même ses pieds.
→ Limiter la préparation
Dès que l’on ne cherche plus à faire tenir dans une seule journée la visite de quatre musées, il est même possible de ne plus vraiment planifier, ou alors juste ce qui vous tient particulièrement à cœur ou qui vous inquiète le plus. Ainsi pour notre voyage à vélo dans le Sundgau, tout l’itinéraire était calculé avec précision, j’avais peur de ne pas être physiquement capable de suivre mon amoureux. Pour le reste, nous avisions au gré des panneaux indicatifs (« moulin à 500 mètres ») et de la beauté des lieux.
→ Prendre du temps pour soi
On dit souvent que les vacances sont pour se reposer, mais aussi que les voyages ne sont absolument pas reposant. Pourtant les vacances sont bien souvent le seul moment pendant lequel on peut voyager.
Opter pour le slow travel offre du temps pour lire, dormir, dessiner, s’écouter (soi-même, son/ses compagnon/s de voyage), rêver. Le luxe est de pouvoir s’asseoir car la vue est belle, et de ne pas s’inquiéter de l’heure à laquelle on se relève.
→ Faire des économies
La question des économies est très subjective. Si l’on reprend mon exemple de l’Australie, il est vrai que j’ai techniquement économisé le prix du trajet Melbourne-Sydney ou même Melbourne-Uluru. Toutefois n’ayant jamais prévu d’y aller, je n’avais pas prévu de budget pour ça.
Par contre il est vrai que si l’on séjourne une semaine au même endroit, le prix à la nuit est souvent moindre que lorsque l’on passe une seule nuit dans un établissement. De plus, en prenant le temps de découvrir les lieux, on peut repérer où manger moins cher, éventuellement cuisiner soi-même, acheter au supermarché certaines choses plutôt que de privilégier les petits formats, etc.
Être pleinement consciente de mon voyage
Pour moi, le slow travel est ce qui me permet de mettre du sens dans mes rencontres et dans mes visites. J’ai ainsi la possibilité de faire des choix plus conscients et non par défaut.
Je peux mettre de l’éthique dans ma consommation, comme c’était le cas au Kirghizstan ou au Cambodge où seul le temps m’a permis de savoir que les fruits étaient majoritairement importés de l’étranger.
J’ai le temps de lire, de me renseigner, de comprendre la ville et la culture qui m’entourent. Je comprends alors le rôle des migrants au français parfait à l’entrée des supermarchés siciliens.
J’apprivoise ma timidité et celle des autres, comme à Montréal où il m’a fallu 4 semaines avant d’être invitée dans l’intimité d’une famille.
Je peux fixer dans ma mémoire les lieux, les émotions, les gens.
Mon voyage est alors vécu et ressenti, par opposition au voyage que l’on « fait ».
Sources pour aller plus loin
En 2014, j’avais répondu à différentes questions de Fabian Baran qui réalisait un mémoire de fin d’étude sur le slow travel. C’est en relisant le résultat de son travail, que j’ai découvert Nicole Aubert et lu des extraits de son livre, Le culte de l’urgence, la société malade du temps.
L’origine du mouvement Slow Food est disponible en ligne et en français sur le site officiel Slow Food.
Ma présentation s’est clairement enrichie de discussions avec deux autres participantes que je vous invite à découvrir :
– Émilie anime des ateliers sur les voyages responsables sous le nom L’Essence du Voyage ;
– Céline écrit, dessine, milite et bien plus encore et ses récits sont sur Take a walk on the wild side.
Merci pour ton article ! La seule fois où j’ai fait du slow travel c’était à Chania en Crète… alors que je suis plutôt une control freak en ce qui concerne le planning des voyages, là, j’avais rien prévu de particulier à visiter. Du coup j’ai pris le temps de me perdre dans les rues, de manger sur les murs du vieux port, de discuter avec des gens…et je me souviens un soir, alors que j’étais bien toute seule, je me suis sentie remplie d’une joie tellement intense et d’un sentiment de béatitude profonde. C’était tellement bizzare d’être physiquement « seule » mais de se sentir tellement entourée et aimée… de quoi je ne sais pas… mais j’avais vraiment eu l’impression d’avoir capté l’humeur de la ville à ce moment là ! Tu vois ce que je veux dire ?
C’est un souvenir plein de légèreté que tu partages avec moi, merci !
Et je comprends cette sensation de saisir l’humeur de la ville, cette impression de ne pas suivre notre rythme mais d’avoir intégré celui du lui. J’adore ça !
C’est rigolo, moi aussi c’est à Chania que je me suis le plus laisser couler, j’avais pas prévu grand chose mais à la fin j’ai fait encore moins ! Je n’ai pas vu beaucoup de la Crète finalement, mais après plus de deux semaines à Xania je connaissais tous les petits pavés par cœur. Il y a pas mal de nonchalance qui se dégage de la ville !
Merci pour ce bel article sur le slow travel. Chez nous, il s’est imposé à nous dès le départ quand on est arrivé en Inde. On avait quitté la France avec un tas d’idées. Elles ont été balayées d’un coup en quelques jours. Si on voulait vraiment profiter du pays incroyable dans lequel on se trouvait, il fallait prendre notre temps. Et cette habitude ne nous a plus quittés. Plus le temps passe, plus on voyage lentement. Et on aime ça, on comprend mieux les cultures des pays que nous visitons, on apprend beaucoup de choses, on ne se lasse pas des sourires des locaux qui nous voient pendant plusieurs semaines. Il y a quelques années, on ne connaissait pas du tout le concept de slow tourisme. Maintenant, on aurait du mal à revenir en arrière. (D’ailleurs, quand on parle avec des Backpackers, ils ont toujours un peu de mal à comprendre qu’on n’ait pas besoin de courir pour voir tel truc ou tel lieu…)
Il est vrai que le slow travel crée des discussions parfois des discussions un peu surréaliste avec ceux qui aiment voir un maximum en un minimum de temps. Mais c’est aussi enrichi de se confronter ainsi à la différence de point de vue sur une même destination.