Connaissez-vous Sophie Germaine, brillante mathématicienne ?
C’est suite à la lecture de sa biographie par Sylvie Dodeller, que Nine a voulu partir sur les pas de Sophie Germain, à l’image de ce que nous avions fait pour découvrir le Paris de Marie Curie. J’étais plus que ravie de sa demande car cela me semblait une excellente façon de changer mon regard sur la ville. Entre nous, on appelle ça le Sophie Germain Trip !
J’avais juste omis qu’entre la vie de Sophie Germain et le Paris d’aujourd’hui, il y a eu le baron Haussmann qui a totalement transformé le paysage parisien pendant la deuxième moitié du 19e siècle. Heureusement qu’il y a des musées et que Nine n’a aucun souci à faire fonctionner son imagination…
Ce séjour a été effectué en avril 2022. Des infos pratiques (et la référence du livre que nous avons lu) sont disponibles à la fin de l’article.
Sophie Germain, Parisienne pendant la Révolution
Vivre dans le quartier des Halles début juillet 1789 n’est pas sans danger. Les Parisiens sont au bord de l’émeute, les soldats sont aux portes de la ville. Les deux filles de la famille Germain sont interdites de sortie. Alors pour s’occuper, Sophie pioche dans les livres de son père et découvrir les mathématiques…
La famille vivait rue St Denis, pas très loin de la fontaine des Innocents, du moins celle que l’on connaît aujourd’hui car à l’époque la fontaine était plus proche de l’église Saints Innocents (détruite pendant l’enfance de Sophie). Si même les fontaines se déplacent difficile de s’y retrouver. Mais peu importe la rue Saint Denis a conservé son étroitesse et le quartier son animation. Il faut alors fermer les yeux et remonter le temps.
Nous avons préféré garder les yeux ouverts pour rejoindre la place du Châtelet, qui n’existait pas lors de la Révolution (elle a été créée en 1802 suite à la destruction de la forteresse qui était sur place). Difficile de savoir que regarder pour observer le même paysage que ce que Sophie a pu connaître. Alors nous avons continué, sur le Pont au Change, lui aussi trop récent (la version actuelle date de 1858-60) pour rejoindre le Palais de la Cité.
Enfin, nous avons rejoint le passé. L’horloge date de la fin du XVIe siècle. La Conciergerie était un haut lieu de la Révolution. Marie Antoinette et Olympe de Gouges y ont été emprisonnées. J’avais prévu une visite des lieux, mais en réalité à ce stade de notre balade, nous étions trop fatiguées alors nous sommes passées devant avec la promesse de revenir une autre fois.
Un autre lieu nous attirait, deux morceaux de passé situés à proximité l’un de l’autre. La dernière demeure de Sophie et un café qui a bel et bien existé à son époque.
Le Procope a ouvert ses portes en 1686. Il servait de lieu de rendez-vous à de nombreuses personnalités politiques de la Révolution. Dans les escaliers, une vitrine abrite un chapeau ayant appartenu à Napoléon. C’est un lieu hautement touristique, l’ensemble mériterait un coup de peinture fraîche et les consommations sont assez chers. J’ai eu l’impression de prendre un café dans un musée privé, un de ceux qui ont du mal à savoir comment mettre en avant leur patrimoine sans rien abîmer autour d’eux. Malgré tout, il y a un certain charme sur place, ce parfum du Paris qui intrigue et fait rêver aux quatre coins du monde.
La dernière maison de Sophie est bien moins romantique. Elle était dans un appartement dans un bel immeuble, en bon état, sur lequel figure une plaque. C’est au 13 rue de Savoie, discrète rue, pourtant si proche de l’animation du quartier Odéon. Un peu comme Sophie Germain, si discrète et pourtant intellectuellement si proche des plus grands chercheurs de son époque.
La Révolution au Musée Carnavalet
Puisque les rues ne pouvaient nous offrir du contexte, j’ai opté avant toute balade pour la visite du Musée Carnavalet qui possède une collection impressionnante sur le thème de la Révolution. Il est possible de prévoir une à deux heures, strictement dans cette section. Le musée étant gratuit, on peut aussi se limiter à une traversée en vitesse : chacun son rythme.
Si la visite commence par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, on profite ensuite de nombreuses œuvres d’art. La forteresse de la Bastille est un poêle, tandis que des guillotines servent de boucles d’oreille. C’était intéressant et j’ai particulièrement apprécié que les textes d’introduction aux différentes sections soient disponibles dans un format complet et dans un format plus court (adapté aux enfants mais aussi aux personnes qui apprennent le français et à ceux qui veulent aller au plus simple).
Je manquais malheureusement de connaissance pour rendre la visite vraiment intéressante pour Nine. J’aurai apprécié un livret jeu pédagogique. Nous avons flâné plus qu’autre chose. Mais cela nous a donné l’envie de revenir pour découvrir le reste du musée.
Femme de science, femme invisible
Les librairies scientifiques que fréquentaient Sophie Germain n’existent plus. Elle n’a jamais pu entrer étudier à Polytechnique (ce n’était qu’une femme) même si un jeune homme inscrit dans l’établissement partageait avec elle ses notes. En tant que mathématicienne, elle n’a laissé que des livres et peu d’objets.
Il n’y a donc rien de tangible pour découvrir son travail. Invisible au passé et au présent.
Cela m’ennuyait de ne pas inclure des sciences dans ce Sophie Germain Trip. Alors même si elle n’a pas de place au musée, nous avons tout de même passé toute une après-midi au musée des Arts et Métiers. Je crois d’ailleurs que le lieu a gagné le cœur de Nine et est à la première place de ses musées préférés, à égalité avec la Galerie de l’Évolution…
Il faut dire que sur les conseils du service communication (qui nous a offert l’entrée du musée), j’avais téléchargé avant notre arrivée l’application Mission Inventions. Celle-ci est vraiment très bien faite et accompagne avec rigueur et humour les visiteurs. Ceux qui me connaissent savent que je n’aime pas les applications dans les musées, je l’avais donc testé avant d’arriver sur place et prévenue Nine que nous ne l’utiliserions peut-être pas. Ce que je reproche aux applis ? Elles nous collent le nez au téléphone et on oublie de regarder le musée qui nous entoure.
À notre arrivée (toutes essoufflées, les ascenseurs étaient en panne), nous avons été accueillie sur l’appli par Ada Lovelace elle-même. Ce n’est peut-être pas Sophie Germain, mais c’est classe (un jour, nous irons faire un Ada Lovelace Trip!). En plus, la première salle propose différents instruments de mesure de l’époque de Sophie Germain. Nous étions bien dans notre élément. Alors bien sûr, ce qui nous entourait était très masculin, mais peu importe, nous rapportions nos observations à toutes les femmes que nous connaissions. L’appli a aussi su nous séduire : elle nous a permis de lire quelques SMS envoyés par Mary Shelley curieuse d’en savoir plus sur les propriétés de l’électricité sur un corps mort.
En presque trois heures, nous n’avons fait qu’un étage du musée. Si la première heure, Nine voulait tout voir et avançait très lentement, ensuite elle a accepté de se concentrer sur les objets présentés via l’application. J’ai obtenu le droit de partir quand elle a compris qu’il y avait encore un étage entier et quelques salles au rez-de-chaussée. J’ai du promettre que nous reviendrons… et la soudoyer avec un bubble tea. Oui, j’ai eu ma dose de sciences bien avant elle. Après tout, je me sens plus d’affinité avec Eve Curie qu’avec Irène Curie.
Le cimetière du père Lachaise
C’était le dernier jour de notre séjour. Le jour parfait pour une sortie au cimetière.
Du moins, selon l’avis de Nine. Il faisait froid et il pleuvait. Pas comme des giboulées de Mars qui permettent de courir entre deux averses. C’était une pluie qui fait disparaître le ciel et qui, j’en suis sûre, dépasse les tests les plus fous pour vérifier l’étanchéité des chaussures.
Sauf que c’était le dernier jour pour notre Sophie Germain Trip. Moi, j’aurai bien annulé ou reporté aux calendes grecques. Mais mon moi-du-passé avait promis…
Dans la biographie écrite par Sylvie Dodeller, il est mentionné que la tombe est difficile à trouver. Je vous laisse avec l’extrait qui a sauvé notre visite :
« Si vous lui rendez visite, préparez-vous à tournicoter un bon moment dans la division 16 avant de repérer sa tombe. Elle est entièrement cachée par un marronnier indélicat qui s’est invité là, a pris racine dans la terre et s’est déployé au fil des années, juste devant la stèle. »
J’ai donc vérifié à quoi ressemblait un marronnier au printemps et prévu des parapluies. Ce marronnier indélicat est en fait la plus belle chose qui soit arrivée à la tombe de Sophie Germain. Avez-vous déjà remarqué combien ces arbres sont grands ? Ils envoient des marrons au sol pendant tout l’automne et ceux-ci sont parfois encore présents au printemps. Concrètement, cela veut dire que même aveuglé par la pluie, nous avons repéré le marronnier de loin, confirmé rapidement son identité grâce aux marrons au sol et trouvez la tombe en 5 minutes montre en main.
Même Miss Marple n’aurait pas été aussi rapide.
C’était émouvant d’être là. Pas vraiment pour Sophie Germain en elle-même mais pour la demoiselle qui est ma fille et qui promet d’être une personne passionnante. Elle a nettoyé la stèle tout en papotant avec Sophie. Elle a regretté de ne pas avoir de fleurs, alors elle a dessiné le signe de la multiplication avec des marrons. Elle a trempé ses gants, eu de l’eau dans le cou et a souri tout du long. Elle est repartie de là, comme après une visite à une copine avec l’envie de revenir car Sophie ne doit pas avoir souvent de la visite. Elle est repartie en parlant du cimetière, des maths, de l’effet Matilda. Puis dès que nous avons franchi le portail d’entrée, son esprit était déjà sur la suite, l’adresse de poulet frit japonais (karaage-ya) que nous avions choisie pour notre déjeuner.
Conclusion : l’envie de marcher dans les pas d’autres femmes
Découvrir Paris sur les pas de Marie Curie était facile. Sa notoriété qui n’a jamais faibli (pour rappel elle a eu deux prix Nobel dans deux matières différentes) fait qu’il existe une grande documentation à son sujet. Nous avions beaucoup de choix pour lire une biographie à son sujet, l’un de ses lieux de travail a été transformé en musée et on peut voir son bureau en l’état.
Vouloir trouver des traces de Sophie Germain dans Paris s’est avéré bien plus ardu. Elle a été effacée des documents scientifiques (où elle était déjà peu présente), elle n’a jamais été inscrite dans la mémoire collective et ce n’est que grâce à quelques personnes engagées que son nom et son rôle en mathématiques commencent à se diffuser.
Pendant notre Sophie Germain Trip, j’étais frustrée et lassée ou peut-être blasée. J’ai eu l’impression de me battre contre un géant immuable. Depuis, c’est un peu passé. La preuve, je recommence à rêver à de grands projets (que je ne débute jamais par manque de temps) : créer un support de visite 100 % féminin pour le musée des Arts et Métiers, rédiger un livre de Paris et ses grandes femmes, etc.
D’ici là, j’aimerai bien faire d’autres voyages sur le même principe. Une idée de la prochaine femme que je devrais découvrir (de préférence en Europe) ?
Sophie Germain Trip : côté pratique
Quelques infos concrètes, en espérant vous donner envie de découvrir Sophie Germain et les différents lieux que nous avons visité.
Sophie Germain, la femme cachée des mathématiques de Sylvie Dodeller
Le lien sur le titre vous permet de le commander, car il vaut vraiment le coup ! Il est publié aux éditions l’école des loisirs, donc n’importe quelle librairie peut le commander pour vous.
Les chapitres sont courts, le contexte est bien donné, l’autrice a un propos direct (et féministe). Il est donc accessible à partir de 10 ans et il a tout ce qu’il faut pour plaire également aux adultes.
Avant 10 ans, je vous conseille plutôt l’album Rien n’arrête Sophie qui est une excellente introduction à la vie et les recherches de Sophie Germain.
Conciergerie – entrée payante
Je ne l’ai pas visité depuis très longtemps, mais une remarque pratique : les billets sont à acheter sur la place du Châtelet ou en ligne sinon il est impossible de s’approcher de l’entrée du monument. En effet, tout le secteur est extrêmement sécurisé car il y a toujours un tribunal et d’autres bâtiments officiels.
Le café Procope – 13 rue de l’Ancienne Comédie
Il est possible de déjeuner ou dîner sur place. Mais j’ai trouvé que les plats étaient chers et je n’étais pas du tout attiré par une telle sortie. Du coup, nous y sommes allées en plein après-midi pour une boisson chaude (le chocolat chaud est bon) avec un passage aux toilettes qui nous a donné l’occasion de jeter un œil partout.
Musée Carnavalet – entrée gratuite, casiers disponibles
Le contenu du musée est vraiment accessible pour flâner, apprendre, tout lire, picorer. Certains espaces sont très fréquentés, d’autres sont totalement déserts.
C’est immense, il est donc nécessaire de se poser pour savoir ce que l’on veut voir en priorité (puis n’hésitez pas à demander votre chemin pour rejoindre rapidement la bonne section). Les expositions temporaires sont payantes et il est souvent nécessaire de réserver. Mais l’accès aux collections permanentes se fait rapidement (il ne faut pas hésiter à passer devant tout le monde…).
Musée des Arts et métiers – entrée payante, casiers disponibles
Si vous avez un centre d’intérêt précis, n’hésitez pas à utiliser le plan pour commencer par ça et ensuite flâner. Le musée est immense ! Le mercredi et le samedi des visites guidées thématiques sont proposées. Le pendule de Foucault est présenté tous les jours à 12h et 17h.
L’application Mission Inventions est gratuite et demande avant tout de regarder le musée. Il faut repérer des cibles. Lorsque l’une d’entre elles est scannée, on a accès à un jeu, une présentation de l’objet, une vidéo de présentation, une fausse publicité pleine d’humour, à des échanges de SMS de personnalité de l’époque, etc. Puis, on obtient un indice pour une cible cachée dans la section. Ce qui nous force à garder l’indice en tête pour mieux observer le musée. Il y a un vrai va et vient entre l’appli et les objets exposés, tandis que le contenu est de qualité. Gros coup de cœur à ce niveau-là.
Deux critiques toutefois envers le musée : si l’ascenseur est indispensable pour vous, il me semble nécessaire de téléphoner avant de vous y rendre. Pendant les heures d’école, certains groupes scolaires peuvent rendre les lieux absolument détestables. La partie de cache-cache, les cris, le prof qui s’énerve, font que Nine voulait d’abord partir sans rien voir ou aller chercher la sécurité du musée.
Cimetière du Père Lachaise – entrée gratuite
Le lieu est magnifique mais c’est avant tout un cimetière. Essayez d’obtenir un plan ou des informations précises sur les tombes que vous souhaitez voir car sur place, il n’y a pas beaucoup d’informations pour s’y retrouver.
Merci pour ton récit et les photos de votre balade sur les traces de cette mathématicienne que, j’avoue, je ne connaissais pas. J’aime beaucoup votre concept de « woman trip » 🙂
Merci !
Superbe, ce Sophie Germain trip !
Merci pour cette balade culturelle, historique et scientifique !
Cela m’a donné envie d’aller avec nos enfants au Musée des Arts et Métiers que je ne connais pas encore.
À bientôt sur Twitter !
J’espère que vous apprécierez la balade au Musée des Arts et Métiers, dont le seul défaut est probablement la taille (c’est immense !)
Merci pour cet article passionnant qui m’a permis de découvrir Sophie Germain, dont je n’avais jamais entendu parler. Je vais acheter le livre dont tu parles je pense ! Et aussi programmer une visite au musée Carnavalet, où je ne suis jamais allée…
La couverture du livre n’est pas terrible mais le contenu vaut vraiment le coup (même quand on n’a pas la fibre scientifique).