18 ans pour apprendre une langue étrangère

Depuis quelques temps j’ai une nouvelle élève. Une jolie petite fille d’origine africaine avec pleins de tresses sur la tête, des chaussons Hello Kitty et des oreilles fraîchement percées. Elle est en moyenne section à la maternelle et ses parents espèrent qu’elle devienne bilingue français / anglais. Je lui donne une heure de cours par semaine, avec l’objectif souhaité par ses parents qu’elle apprenne au moins deux nouveaux mots par leçon. Ils ont conscience que leur fille ne deviendra pas bilingue du jour au lendemain. Par contre ils n’ont pas encore compris que si je leur conseille de s’impliquer le reste de la semaine, ce n’est pas pour rien.
Mais je suis une optimiste, qui travaille pour la première fois avec ce profil d’élève, donc je fais de mon mieux. Enfin j’étais optimiste. Car j’ai découvert les travaux de Sophie Genelot (référence exacte pour les curieux en fin d’article). D’un côté je n’ai plus du tout envie de faire des efforts pour la demoiselle fan d’Hello Kitty. De l’autre, j’ai très envie d’en savoir plus sur les recherches portant sur l’enseignement précoce des langues étrangères avant de donner ma démission.

Mais revenons à Genelot et mon cours d’une heure par semaine. Sophie Genelot a calculé qu’il faudrait 18 années d’apprentissage en contexte scolaire français pour égaler le niveau de langue que l’on obtient en une année passée directement dans le pays de la langue voulue. 18 ans !
En sachant qu’on ne commence l’école qu’à 3 ans, que la majorité des écoles maternelles ne proposent pas d’initiation à une langue étrangère, que quand elle a lieu en primaire, cette initiation n’a quasiment aucun impact sur le niveau au collège : personne en France, en contexte scolaire, ne commence un apprentissage de langue étrangère avant d’avoir 12 ans. L’école, dans son système actuel, ne peut donc pas offrir une maîtrise correcte d’une langue étrangère avant la fin de la scolarité.
En fait je le savais déjà. J’ai appris l’anglais avec des cours privés, puis avec l’école, mais surtout en voyageant.

Je me demande juste que dire et que faire avec ma petite élève qui voit en moi l’occasion de s’amuser et dessiner une fois par semaine, tandis que ses parents me voient comme celle qui offrira un brillant avenir à leur fille. Bien sûr il faut commencer quelque part. Mais dans l’article de Gaonac’h (paru dans Sciences Humaines de 2002) il explique également que ce type d’apprentissage permet à l’enfant de réussir plus facilement les premiers temps des cours d’anglais officiel (en 6e le plus souvent) mais que rapidement le niveau se lisse avec celui des autres élèves.
Pour l’instant la seule idée qui me vient à l’esprit c’est d’avouer aux parents que je ne sers à rien. Mais bon, j’ai quand même besoin de donner des cours pour payer mon loyer, donc je ne le ferai pas. Il ne me reste plus qu’à essayer d’en savoir plus pour être une super prof qui se sent un peu utile.

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L’article que j’ai lu à la base de ma déprime passagère : D. Gaonac’h, «  L’enseignement précoce des langues étrangères », Sciences Humaines, n°123, Janvier 2002.
L’article que je n’ai pas lu mais à la base du calcul : S. Genelot, « L’enseignement des langues à l’école élémentaire : quels acquis pour quels effets au collège ? Eléments d’évaluation : le cas de l’anglais. » Les cahiers de l’IREDU n° 58, Université de Bourgogne, 1995.

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