Il y a quelques temps, j’ai découvert le compte Instagram Mon fils en rose, ses présentations de livres avec des personnages vraiment divers, ses partages contre le racisme et de fil en aiguille son blog. La maman derrière Mon fils en rose ne fait pas que parler, elle se questionne vraiment et elle semble tout aussi passionnée que moi par les listes et les vérifications minutieuses. J’ai donc décidé de m’inspirer de sa démarche pour analyser à la loupe notre bibliothèque et voir si elle reflétait vraiment mes idées.
Autant dire que j’ai été surprise et plus d’une fois.
Ce que j’avais l’impression de faire :
– privilégier les personnages féminins
– privilégier les autrices et illustratrices
– avoir pas mal de livre sur le Japon et l’Asie en général.
Ma démarche pour vérifier notre bibliothèque
J’étudiais sérieusement nos livres pour la première fois, donc il y a eu quelques couacs.
J’ai choisi de regarder tous les livres de Nine, en français et en anglais, album, bande dessinée et roman. J’ai intégré les biographies romancées et j’ai exclu les documentaires purs et durs. Par contre, j’ai oublié de compter les mangas (rangés dans une autre bibliothèque). Et pour les romans, je n’ai compté que ceux que j’avais lu car il est plus délicat de se faire une idée du contenu.
À la base, je voulais voir si nous avions des livres avec des personnes racisés qui tenaient les rôles des personnages principaux (ha, la bonne blague…). Au passage, j’ai vérifié l’égalité fille-garçon. Et puisque j’y étais, j’ai voulu vérifier la nationalité des auteurs (bon, j’ai grandement oublié), s’il y avait des personnages handicapés ou en instruction en famille… Oh et puis, les lieux pour voir s’il y a autre chose que l’Occident.
Une bibliothèque plutôt féministe, mais pas tant que ça
La première surprise a été de découvrir que même si je fais un choix conscient en faveur des femmes (personnages ou auteurs), en fait, la balance ne penche que faiblement pour elle.
Ainsi 47 % des livres en français ont un personnage principal féminin. Nous avons même plus de livres avec des animaux qu’avec des garçons. J’ai quand même un peu grincé des dents en découvrant que 8,5 % n’ont que des garçons, sans aucun personnage féminin du tout.
Sur l’ensemble de nos livres (en français et en anglais donc), 57 % sont réalisés par au moins une femme (seule ou avec un homme à l’illustration ou au texte).
Le hic, c’est que pour les livres strictement en anglais, j’ai surtout des personnages principaux masculins et bien plus d’auteurs hommes que femmes. C’est clairement dû au fait de moins choisir les livres en anglais (j’achète ce que je trouve en librairie d’occasion et non ce que je cherche volontairement).
Une bibliothèque totalement blanche
Là, je me sens plutôt mal, car je suis vraiment embarrassée des résultats.
Seulement 4 % de nos livres comprennent un personnage principal racisé en Occident !
4 % !!! ça fait 8 livres sur 199 livres ! Alors même que nous avons des biographies romancées de femmes noires ayant travaillé à la NASA…
En détail :
→ 59 % ont un personnage principal blanc
→ 24 % ont un animal en personnage principal
→ 17 % ont un personnage principal racisé mais l’histoire se passe à l’étranger (un personnage japonais au Japon par exemple)
→ 46 % de nos livres avec des personnages humains n’ont absolument aucun personnage racisé.
Pour moi il est vraiment important de ne pas limiter les personnages noirs à l’Afrique sub-saharienne et les personnages asiatiques à l’Asie. Je veux que les personnages de livre soient aussi divers que les enfants que nous croisons au parc.
Et pourquoi tant d’animaux ?
En me renseignant sur le contenu des livres jeunesse, du point de vue de la diversité, j’ai découvert que ces dernières années les albums jeunesses comprennent de plus en plus souvent des animaux (étude disponible ici, c’est de là que vient l’infographie ci-dessous).
Je n’ai trouvé aucune étude sur le pourquoi du comment. Par contre j’ai pu constater dans notre bibliothèque personnelle et celle de notre quartier que les sujets traitant de l’inclusion des personnes différentes se font très souvent par le biais d’animaux.
C’est le cas des livres avec un nouvel élève qui ne parle pas la même langue, une famille qui déménage loin, l’arrivé de nouveaux dans le quartier (enfin la forêt), l’amitié avec une personne différente de nos autres amis, etc, etc. J’ai l’impression que les auteurs sont timides et que, sous couvert d’une plus grande inclusivité (ce sont des animaux, on peut donc tous s’identifier), ils préfèrent opter pour des animaux.
Autant dire qu’il va vraiment falloir que je tombe sur un énorme coup de cœur pour acheter de nouveau un album avec des personnages strictement animaux !
Les grands absents de notre bibliothèque jeunesse
J’ai donc analysé 199 livres. Et j’y ai trouvé
→ 3 livres avec au moins un personnage LGBT
→ 4 livres avec un enfant non-scolarisé
→ 4 livres avec un personnage handicapé ou avec une maladie chronique.
Et zéro, nada, rien en provenance du Maghreb ou du Proche et Moyen-Orient.
J’ai pourtant des livres avec des personnages voilés, toujours des femmes du Pakistan ou d’Asie du Sud-Est. Comme j’achète des livres souvenirs de voyage, j’ai un album écrit, imprimé et diffusé en Tunisie (avec un chameau en guise de personnage principal). Mais aucun enfant personnage principal qui vit dans l’un de ces pays. Je ne parle même pas d’enfants originaires de l’un de ces pays vivant en France aujourd’hui…
Mes envies pour une diversité dans nos livres
Du coup, j’ai commencé sérieusement à chercher des livres pour rétablir l’équilibre. Oui, j’ai prévu de faire de la discrimination positive dans les livres que j’achète à ma fille. Après tout j’en faisais déjà avant, mais dans une optique strictement féministe.
Sauf que cela ne va pas être si facile que ça. Ainsi j’ai trouvé une autrice libanaise, Fatima Sharafeddine, mais elle écrit beaucoup d’albums avec des animaux. J’ai tout de même découvert un bel album avec un petit garçon qui pourrait être blanc ou méditerranéen mais qui est surtout handicapé (sourd). Les oiseaux d’Adel est en plus un très beau livre, que je vous conseille, même juste pour le plaisir des belles images.
J’ai parlé de mes recherches avec deux libraires et plusieurs personnes sur Instagram et le résultat n’est pas vraiment concluant. En fait on m’a proposé des livres sur le thème de la migration (avec des personnages syriens), de la guerre (dans un cadre pas forcément nommé mais toujours « arabisant ») ou des documentaires sur le racisme. Quand j’ai demandé si j’aurai une chance de trouver des mamans voilées, on m’a fait des gros yeux…
Finalement on m’a tout de même proposé un livre plutôt documentaire (clairement je l’aurai exclu de mon analyse si je l’avais eu plutôt) sur le thème des religions. Cité Babel est un très grand livre avec des volets, présentant les habitants d’un immeuble. On y rencontre une famille musulmane originaire du Maroc, une famille métisse (papa noir, maman blanche) catholique et une famille blanche juive. Il y a également l’épicier du rez-de-chaussée, athée.
Quelques suggestions lectures pour booster la diversité dans votre bibliothèque
Du coup, j’ai emprunté beaucoup de choses à la bibliothèque, j’ai mis à jour un article sur Mon autre reflet listant des livres avec des personnages non-blancs. Mais j’ai encore d’autres titres que je trouve magnifique et qui pourrait vous aider à avoir une bibliothèque plus représentative du monde dans lequel on vit.
Promis j’essaye de faire court, mais je peux donner plus de détails en commentaire si ça vous intéresse. Pour le moment il n’y a que des albums, mais je reviens dès que j’ai trouvé de bons romans (car oui, vouloir inclure de la diversité ne retirera en rien mon exigence sur les textes, l’histoire et le graphisme).
Quelques albums :
→ Carl et Elsa s’échappent : petit garçon noir (métis ou adopté, sa maman est blanche), petite fille blanche, autrice suédoise, personnage de maman qui travaille à la maison, expression des émotions, maison en bazar et c’est OK
→ Les oiseaux d’Adel (évoqué ci-dessus) : petit garçon sourd, autrice libanaise
→ Le garçon invisible : personnage principal blanc extrêmement timide (à la limite de l’exclusion du groupe-classe), personnages secondaires d’origine coréenne pour l’un et sud-américaine pour l’autre, vrai mixité dans les enfants de la classe
→ Julian est une sirène : petit garçon noir (brésilien?) ainsi que tous les autres personnages, petit garçon qui veut être une sirène (avec les bijoux et une belle jupe), défilé de personnes transgenres, vision strictement positive du travestissement, autrice américaine
→ Nous sommes tous des féministes : personnage principal fille noire, facile à lire mais inspiré d’un essai sur le féminisme, autrice nigériane, girl empowerment (à lire à partir de 5-6 ans et sans limite maximale).
Quelques bandes dessinées :
→ Princesse Princesse : une princesse blanche un peu ronde, une princesse noire qui veut être capitaine, un happy end avec le mariage des deux princesses ensemble, autrice néo-zélandaise (pour les enfants à partir de 5-6 ans je pense)
→ Le cercle du Dragon-Thé : enfant personnage principal noire, couple d’homme dont un en fauteuil roulant), mère forgeron, autrice néo-zélandaise (pour les enfants à partir de 5-6 ans également, histoire un peu courte mais illustrations magnifiques)
→ Jack le téméraire : personnage principal garçon blanc, sa sœur est sur le spectre autistique, sa meilleure amie (blanche) est instruite en famille, auteur américain qui instruit à la maison ses filles
Quelques romans :
→ Les secrets de Toutankhamon, d’Emma Carroll, autrice britannique : personnage principal blanc, deux meilleurs amis métis (père jazzman américain) dont l’un sur le spectre autistique, discours féministe, réflexion sur le vol des trésors égyptiens par les blancs.
→ Ma mère s’écrit avec une étoile, de Kochka, autrice libanaise : maman migrante, illettrée, texte très court, très beau, accessible dès 7 ans.
→ Une année chez les Stevenson, de Dana Alison Levy, autrice américaine : une famille avec deux papas et quatre enfants adoptés, dont un surdoué et un afro-américain, une cousine non-scolarisée, récit sur la vie quotidienne, l’amitié, la famille.
→ Fatou Diallo détectived’Emmanuel Trédez, auteur français blanc : personnage principale fillette de 9 ans noire.
Et surtout, n’hésitez pas à me donner des conseils pour augmenter la diversité dans ma bibliothèque. J’ai noté la BD pour jeune Yasmina Master-Classe (l’héroïne est-elle originaire du Maghreb?), la BD pour ado Chinese Queer et le roman ado ou enfant Akata Witch.
Mes articles intègrent des liens vous permettant de trouver en un clic les livres dont je parle. Progressivement je retire les liens vers Amazon et à la place je privilégie Decitre, une librairie française. Ce sont des liens affiliés, en cas de commande, je touche un pourcentage de votre montant. C’est une façon pour moi de financer le blog. Vous pouvez également me soutenir en m’offrant un café ici et en partageant les articles auprès de vos proches qui seraient intéressés par le contenu que je crée.
Merci d’aborder le sujet, et pour vos propositions à ajouter à nos bibliothèques !
Pas forcément pour les petits, mais je recommande « E=MC2 mon amour » (Patrick Cauvin) sur le sentiment de différence et d’exclusion (protagonistes surdoués blancs, un garçon et une fille)
D’autres oeuvres du même auteur traitent aussi d’autres types de différences
Ado, je me souviens avoir aussi été marquée par « l’éternité mon amour » (en tout cas je crois que c’est celui-ci de Christian Grenier et pas un autre), avec son univers de science-fiction très misogyne faisant réfléchir (de façon élémentaire) à la question du genre.
Pour les plus grands, « les souliers de Mendela » (Eza Paventi) abordent la question du racisme au travers d’ue sorte de voyage initiatique de reconstruction psychologique
Et finalement, pour les petits, je recommande « Dounia » (Zidrou Kasvoskaïa), petite africaine adoptée en Europe. Et « Celle-qui-va » (Virginia Pésémapéo Bordeleau), quête d’une chamane amérindienne. De très beaux albums.
En espérant avoir pu vous inspirer !
Merci beaucoup pour toutes ces recommandations, je n’en connais aucun et ça me donne envie de les découvrir.
J’ai également reçu des propositions en FB et même twitter, je vais donc pouvoir découvrir de nombreuses et belles choses.
super intéressant comme démarche, ça m’a donné envie d’analyser notre bibliothèque aussi. J’avoue que si j’adore avoir une bibliothèque représentative de la diversité mes critères d’achat sont avant tout basé sur l’esthétique et l’histoire racontée, ce n’est que dans un deuxième temps que je fais attention à ce genre de choses. Du coup je suis curieuse de voir ce que va refléter ma bibliothèque.
Sinon, il y a un roman jeunesse qui m’est venu à l’esprit en te lisant : héroïne à la peu noire, vivant en France, et je crois bien que l’auteur est une femme. En revanche moi j’ai moyennement accroché à l’histoire. Les fantômes d’Issa, j’avais publié une chronique il y a quelques temps sur le blog. Peut-être est-ce le genre d’histoire qui pourrait plaire à ta fille (à partir de 12/13 ans, je sais pas quel âge à ta fille), je voulais le soumettre à la mienne pour avoir son retour mais elle est sur un autre roman pour le moment
Comme j’essaye d’acheter beaucoup moins qu’avant (ce qui n’est pas flagrant, puisque j’ai acheté/reçu 200 livres en 4 ans de vie sédentaire, oups), je privilégie vraiment la bibliothèque. Du coup quand j’achète, il faut que ce soit beau, bien écrit, intelligent et idéalement avec un truc en plus (du petit éditeur à l’origine de l’auteur, etc). Mais je n’avais pas conscience de la quantité de livres reçus en cadeau et de ceux que j’achète en voyage (où je prends ce que ma fille demande pour l’occuper).
Et je not le titres Les fantômes d’Issa pour me renseigner. Ma fille n’a que 8 ans 1/2, mais ça pourrait peut-être me plaire pour Halloween…
Merci.
Merci beaucoup pour cet article, c’est très intéressant ! Je l’ai lu au moment de sa publication, et j’avoue que je l’ai trouvé bien compliqué, pour moi c’était vraiment se faire des noeuds au cerveau !!! Jusqu’à la semaine dernière, où j’ai cherché des livres pour ma fille. Je cherchais des albums en arabe, le papa étant arabophone. Je suis limitée pour cela car ne parlant pas arabe moi-même, il faut chercher via des sites français (médiathèques, maisons d’édition bilingue ou librairie de l’Institut du Monde Arabe). Bref, j’avais le choix entre : des albums traduits (Tchoupi en arabe)… Bof, tant qu’à lire dans une langue étrangère, autant lire dans le texte ! Des ouvrages sur l’Islam pour les enfants… Non, ce n’est pas ce que je cherche ! Et enfin, des choses extrêmement clichées : un abécédaire avec des bédouins, des gazelles et des palmiers… Ou comment créer un imaginaire qui ne correspond en rien à la vie quotidienne dans le pays de son papa (où il y a plus de chance de croiser une mobylette qu’un dromadaire !). Bref, je me suis prise de plein fouet cette question de la diversité dans la littérature jeunesse, et j’ai repensé à votre article. Merci !
Merci de votre retour.
Et oui, c’est se faire des nœuds au cerveau… quand on débute. Car ainsi on découvre de nouvelles maisons d’édition et une autre approche de la littérature. Par la suite, je trouve qu’une fois qu’on a le pied dedans (que ce soit dans la déconstruction ou dans des achats différents), ça devient de plus en plus facile.
Et connaissez-vous la maison d’édition Le port a jauni ? Elle publie des albums et des poèmes (jeunesse) bilingue français arabe avec des auteurs et illustrateurs récents.