Quand j’ai quitté l’enfance, je pensais que les voyages ce n’était pas la vraie vie

Il y a quelques temps, je vous ai dévoilé mes rêves de voyage d’enfant, vous abandonnant dans mon récit à mon entrée dans la vie adulte. Voici la suite…

Réaliser le voyage de ses rêves quand on a 18 ans, c’est terrible. Je suis rentrée vide de mon été en Australie. Toute fierté avait disparu devant l’exploit accompli. Je n’avais pas de nouveau rêve. On ne cessait de me demander où je voulais aller ensuite et je n’avais aucune réponse.

Alors je suis allée à Grenoble, à l’IUT Métiers du livre où j’étais inscrite. Je me suis trouvé un cours d’escrime, je me suis fait des amies, je regardais les montagnes par la fenêtre de mon mini studio. Et au bout de deux mois j’ai donné ma démission ! J’avais envisagé de peut-être devenir éditrice, mais l’école où j’étais préparait au métier de bibliothécaire. Et l’idée de passer ma vie enfermée dans une bibliothèque me faisait frissonner.
Je suis rentrée chez ma mère, j’ai donné des cours de soutien scolaire. Et l’une de mes tantes m’a fait parvenir un journal où des petites annonces pouvaient me convenir. Dans les toutes dernières colonnes de Famille Chrétienne on recherchait des filles au pair. Je ne pouvais pas attendre la prochaine rentrée scolaire sans rien faite. Et j’ai toujours aimé l’idée romantique de partir travailler dans une famille : les premières filles au pair étaient de filles de bonne famille apprenant à tenir une maison.
J’ai contacté plusieurs personnes et j’ai obtenu une place à Amsterdam. Mais comme je n’avais pas besoin d’y être de suite, j’ai d’abord travaillé un mois dans une autre famille au Luxembourg.

gare d'Amsterdam
La magnifique gare centrale d’Amsterdam, photo prise en 2016

Connaissez-vous ces demi-tour que l’on effectue quand tout va bien, trop bien, que votre vie pourrait enfin changer et que c’est tellement effrayant que vous prenez la fuite ?

C’est ce que j’ai fait à Amsterdam. J’avais peur, de faire trop de ménage, de mal faire, de parler anglais, de sortir le soir, de ne pas me faire d’amis. J’avais peur de ce que j’allais devenir, de l’immense sensation de liberté qui s’emparait de moi dans le tram. Peur de ce que j’aurai appris à faire pour ne pas mourir d’ennui sur place. Je devais même accompagner la famille à New-York tout frais payé. Alors j’ai pris la fuite, j’ai donné ma démission. J’ai préféré le confort d’une vie normale et connue que tout cet inconnu qui s’offrait à moi. Et malgré ma volonté de partir précipitamment, la famille m’a offert de les accompagner à New-York pour deux semaines et de rentrer chez moi seulement après. Mon travail : découvrir la ville avec les enfants.
New-York est une pierre de plus dans la construction de ma fierté personnelle. Toute petite pierre qui a rejoint celle de l’Australie. J’y ai connu parmi les moments les plus gênants de ma vie mais tous les soirs, nous rentrions tous vivants et entiers à l’appartement. Et la mère de famille m’a littéralement forcé à sortir seule, merci à elle. Car sans prétexte je n’osais quitter qui que ce soit.

Cependant dans mon obstination, dans ma volonté à vouloir une vie normale, je suis rentrée comme je l’avais dit, j’ai tout mis dans des albums photos, les albums dans des placards, j’ai fermé la porte et je suis devenue normale, adulte, telle que je pensais devoir l’être. Je suis retournée à l’école, en BTS tourisme à Blois.
Les voyages c’est bon pour les inconscients. Je pensais que pour voyager il fallait aimer la bière (je déteste ça), fumer (et pas que des cigarettes), être douée en langue étrangère (j’ai beaucoup travaillé pour ce que je connais aujourd’hui), être un peu hippie, totalement insouciant. Tout le contraire de moi. Les gens stressés, ordonnés, organisés ne voyagent pas ! Ou en voyage d’affaires…

Que de peurs je me trimballais.
Et pourtant sur une impulsion, lorsque j’ai entendu un professeur expliquer qu’il y avait une place de stagiaire disponible à Montréal, j’ai tout fait pour présenter ma candidature dans la matinée, puisque les CV partaient par fax le jour même. Ce n’était que pour deux mois, sorte de célébration de mes études, avant de chercher du travail. Que j’ai adoré vivre en colocation à Montréal !
Ensuite, direction une vie bien rangée, un contrat dans ma ville de naissance, un copain sérieux qui ne voyage jamais sauf pour voir ses parents dans le sud de la France. Je n’avais plus d’atlas ou de récits de voyage sur mes bibliothèques. Et je n’avais pas non plus assez d’argent pour partir en vacances (et pas assez de vacances non plus dans un premier temps).

Étape suivante dans ma relation amoureuse, j’ai emménagé chez lui, en région parisienne. Je me suis construite un réseau de copains et j’ai découvert que la normalité est une notion qui change d’un quartier à un autre. J’avais la vie que je pensais devoir vivre. Un mec qui gagnait bien sa vie, un boulot qui correspondait à mes études, un joli appartement. Tout devenait très sérieux. Sauf mes copains, qui jouaient au quidditch dans les parcs parisiens… Vraiment ! Sans éprouver de gêne, sans être des marginaux, en poursuivant des études de médecine ou une vie de banquier. Je m’entêtais à vouloir faire ce qu’il faut faire depuis des années et brusquement je me prenais en pleine tête, une vérité difficile à accepter : je n’étais pas obligée d’agir ainsi, à la recherche d’une normalité tellement stéréotypée qu’elle n’existe plus que dans les films. Si j’arrêtais d’avoir peur, je pouvais faire autre chose de ma vie…

Tout le matériel pour une partie dans un parc parisien (la photo n'est pas de moi, mais de qui... aucun souvenir)
Tout le matériel pour une partie dans un parc parisien (la photo n’est pas de moi, mais de qui… aucun souvenir)

Je suis partie en courant, j’ai quitté mon copain, pris un appartement à quelques pas de mon boulot. J’ai été voir si une autre normalité était vraiment possible. Je suis partie en courant et je me suis inscrite sur couchsurfing…

14 commentaires Ajoutez les votres
  1. Je suis contente de retrouver enfin le chemin de ton blog… j’avais toujours l’ancien url dans mon feed… Bref peu importe ! En plus j’arrive en pleines confidences sur tes expériences du voyage ! Tip !

    1. Bon retour ici, nos choix de vie récent me rendent songeuses et nostalgiques, donc c’est effectivement la période des souvenirs.

  2. Couchsurfing a changé bien des vies je pense !
    Un article vivant et touchant 🙂
    L’histoire continue c’est l’essentiel ! Et tout ça fait des articles 🙂 Qu’est ce que la vraie vie ? C’est simplement la vie que chacun mène, je ne pense pas qu’il y ait une bonne définition, chacun vit sa propre expérience. Pour certains, la vraie vie c’est ainsi, pour d’autres ce sera complètement différent. La vraie vie, c’est avant tout d’être conscient de ce que l’on fait et de pourquoi on le fait ! C’est ma vision des choses 🙂
    Est-on toujours conscients de ce que l’on fait ?
    A+

    1. On ne s’attend pas à de telles rencontres et changements en s’inscrivant sur couchsurfing. Inconscience innocente.
      Car il est finalement assez difficile de se montrer conscient dans ce que l’on fait, des sauts dans le vide son parfois nécessaires, reste ensuite à savoir en tirer le meilleur pour soi

  3. La « vraie vie », c’est une chose bien délicate à définir… Je dirais que c’est la vie qui nous rend heureux, la vie qui, lorsqu’on la regarde, correspond à nos aspirations profondes… et le chemin pour y parvenir !
    Bravo à toi pour ce demi-tour – le plus important n’est pas celui que tu as fait en ne devenant pas fille au pair, mais bel et bien celui que tu as eu le courage d’effectuer lorsque tu as senti qu’à force de normalité plaquée, ta vie ne te correspondait plus… Tout le monde n’en aurait pas été capable.

  4. Je suis très touchée par tes mots (comme souvent d’ailleurs!), notamment cette réflexion sur ce que constitue la normalité et mener une vie « normale ». Ce n’est qu’à la naissance de Prune que j’ai réussi à me débarrasser d’une partie de ces peurs qui ont souvent paralysé ma vie. Et je sais que j’ai encore beaucoup de travail là dessus.
    Comme toi j’ai fait des « demi-tour » dans ma vie: en 1ère année de master FLE, je fais une demande pour faire l’année suivante au Japon. Dossier, entretien, je passe tout avec beaucoup de stress mais énormément de motivation, puis d’un coup j’ai quitté la fac. Incapable de faire face à un éventuel échec, j’ai préféré fuir. Enfin ça je peux le dire maintenant, mais sur le coup j’ai pas trop compris ce qui m’arrivait, je n’arrivais même plus à mettre les pieds sur le campus, dès que je voulais aller en cours j’étais prise de nausées, vertiges, le cœur qui s’accélère à toute vitesse…
    A vrai dire, je n’ai pas vraiment de regret, je suis en paix avec mon passé, mais il n’empêche que je continue de rêver « d’autre chose » sans pouvoir définir vraiment ce que ce serait… et à parcourir assidument les blogs de voyage 😉
    Désolée pour le roman, tout ça pour dire que tes mots résonnent fort en moi et font avancer un peu plus ma réflexion!

    1. Merci de ton partage. J’ai beaucoup hésité à raconter ici mes demi-tour, peu glorieux car j’apprends à faire la paix avec mon passé. Ton commentaire me permet d’avancer, de prendre conscience que nous sommes plus nombreux que je ne le pense à faire des demi-tour, à avoir peur et surtout que cela n’empêche pas de construire de beaux projets si je te comprends bien.

  5. Touchant avoir une vie normale qu’est ce que c’est? Je voyage depuis quelques années, ma vie normale est de « voyager » alors que pour d’autres ça semble irréaliste! Tant que l’on a des objectifs et que l’on sait ce que l’on veut, on est libre. Ton histoire est courageuse et beaucoup de gens ne franchissent pas le cap!

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